Parfois, il y a des séries. Le Québec en vit une actuellement. Décès en série de personnalités. Renée Whatelet, puis Nelly Arcan et Pierre Falardeau. Car malheureusement la mort fait aussi partie de la vie. Que voulez-vous, c’est ainsi. Il faut bien mourir un jour. Certains partent plus tôt, plus tragiquement, le choisissent. C’est la mort soudaine de mon père, il y a plus de 6 ans, qui m’a permis d’apprivoiser la mort. Depuis elle ne me fait plus peur, sauf la mienne, que j’espère très très loin.
Je ne connaissais pas Nelly Arcan. Je crois l’avoir croisée rapidement dans des salons du livre mais je ne lui ai jamais parlé. Je la connaissais seulement par des amis qui l’ont côtoyée. Celui-ci, l’ex, et son coloc de l’époque de leur histoire. Nicolas a d’ailleurs écrit ce qui m’a le plus touchée alors que la blogosphère nous offrait une orgie de mots, certains indignes de cette grande écrivaine.
Mes collègues de La Presse, Catherine Handfield, et du Devoir, Danielle Laurin, démontrent que les journalistes sont toujours bel et bien nécessaires avec ce texte et celui-ci qui mettent les points sur les i et les barres sur les t et rapporte les faits. Aussi celui-ci sur RueFrontenac, les locks-outés du Journal de Montréal.
Car beaucoup de choses ont été écrites hier. Mais ce qui m’a marqué est la gêne et la censure que s’imposent les médias lorsqu’il s’agit d’un suicide. On en parle du bout des lèvres, on n’ose pas, on attend. Pourtant, je citerai justement Nelly Arcan dans l’entrevue qu’elle accordait à François Parenteau de Club Social. La fin de l’extrait lui donne raison sur son propre suicide et la médiatisation qui a été faite au matin de sa disparition : «La violence est très esthétisée…… C’est comme un espèce de discours, si tu parles du suicide finalement, tu vas provoquer des suicides. On a très peur de ça, on est très propre dans la représentation médiatique, je trouve.»
D’ailleurs, elle disait à peu près la même chose dans un texte de P45, écrit en 2004: Se tuer peut nuire à la santé. Voici la fin du texte:
« Ce que je tente de dire, c’est que le phénomène du suicide a une complexité, et aussi une gravité, qui méritent l’attention de tout le monde, et les efforts de recherche dans toutes les disciplines. Ce que je tente de dire aussi, c’est que le suicide n’est pas une tumeur, ce n’est pas une tache ou un furoncle, ce n’est pas une vie en moins d’un consommateur ou d’un payeur de taxes, mais un acte, peut-être le plus radical en dehors du meurtre, par lequel l’individu indique qu’il est possible de choisir de mourir.
Si les gens se suicident en grand nombre dans nos sociétés industrialisées, ce n’est sûrement pas parce qu’elles n’ont pas prévu pour eux des barrières, ce n’est pas non plus parce qu’elles auront représenté des suicidés dans les médias…
C’est peut-être parce que (entre mille autres choses), le maternage de l’État qui organise tout à distance de la réalité quotidienne de ses citoyens vient de pair avec la déresponsabilisation de ces mêmes citoyens face à la misère de leurs proches. Il ne faut pas oublier que les barrières les plus solides contre la détresse des gens qui nous sont chers, c’est encore vous et moi.»
Je suis totalement d’accord avec ses mots. Car le suicide est le résultat d’une souffrance. Le suicide ne doit pas être tabou. Le suicide doit être traité comme la maladie mentale qui le précède. On doit entourer mais surtout référer car les proches ne sont pas toujours équipés pour y faire face. Il existe des professionnels dont c’est le métier. Consultons-les.
Dans la vie, on passe par des phases heureuses et malheureuses. Chaque personne est différence. Mais ce qui est commun, c’est que personne n’est parfait, personne n’est totalement sain, personne ne peut se vanter de n’avoir aucune blessure émotionnelle, aucune faiblesse, aucun petit défaut. Ces blessures sont plus ou moins profondes selon les expériences que la vie nous a envoyées, nous a fait subir.
L’important est de s’en occuper, de les traiter. Il faut se préoccuper de notre santé mentale. Il faut en parler pour évacuer. J’ai déjà consulté un psychologue, et je le referai sûrement un jour, sans me cacher, sans penser que je suis folle. Car c’est souvent le problème, l’espèce d’étiquette que l’on colle rapidement sur une personne qui avoue ses faiblesses, qui avoue consulter.
On a besoin de plus de Marie-Sissi Labrèche, de Nelly Arcan, de Normand Brathwaite, de Varda qui témoignent de leurs faiblesses, de livre comme celui de Katia Gagnon et Hugo Meunier. La santé mentale, il faut en parler. Le suicide aussi.
Dans mon billet sur Branchez-vous écrit après avoir appris le décès de Nelly Arcan, j’inclus les adresses du site de la Fondation André Dédé Fortin et de l’Association québécoise de la prévention du suicide et le numéro de téléphone:1 866 277-3553.
Une dernière chose. Être un artiste incroyable comme Dédé Fortin, une grande écrivaine comme Nelly Arcan n’est pas toujours synonyme de souffrance. Il existe une variété de grands artistes, heureux et malheureux, souffrants ou non, comme dans la vie, dans la société. Chacun utilise l’art comme il l’entend. Si on l’utilise pour évacuer la souffrance, tant mieux, mais ce n’est pas un pré-requis.
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